2024
I am roaming over the dry plains of the United States between Kansas and Colorado. Here the rocky soil is not very conducive to agriculture; ranching and cattle raising are the main activities. In the United States, which is one of the world’s biggest beef producers, cattle breeding is intensive and concentrated. Production is divided into specialized sectors: slaughtering and distribution are in the hands of four large multinationals. These food conglomerates employ mostly working-class people and many migrants of Latin American origin. In the feedlots, the animals are fed grains supplemented with soya proteins, vitamins and antimicrobials. Cattle are sometimes injected with growth hormones to increase yield and produce low-cost meat.
These large cattle farms consume enormous quantities of water and have a significant impact on the environment, polluting the soil and groundwater through manure run-off. Such high-density industries spread illnesses to the cattle, which in turn leads to an increased use of medicines and the development of antibiotic-resistant bacteria. The concentration of this kind of economic activity can also harm community structures by leading to the decline of family and craft businesses. The big agribusinesses are deeply rooted in the local culture, however, and I am not calling out the beef industry. Researchers in the region, including the ethnologist Temple Grandin, have substantially contributed to the improvement of cattle raising conditions and animal welfare. My art project originates, rather, in the surprise generated by the sheer scale of these operations.
Cattle herds stretch to the horizon under clouds of dust. Loaded with particulate matter and ammonia, the air here is barely breathable. Coughing, I photograph a cow that is also struggling to breathe. Dead cows dot the ground. They are picked up and taken away each day to ensure that they do not contaminate the rest of the livestock. I suppose that such losses are not considered out of the ordinary, unless they negatively impact the businesses’ profit margins. I’m thinking about this accountant mindset, all this commonplace death, standing before the cattle carcasses as if I were on a battlefield. This life just ended, the animal’s eyes are still unclouded. From far off I hear the incessant noise of the cattle trucks, the infernal machine that never sleeps.
FRANÇAIS
Je parcours les plaines arides de l’ouest des États-Unis, entre le Kansas et le Colorado. Le sol caillouteux est peu propice à l’agriculture, ce sont les ranchs et le secteur bovin qui dominent la région. Dans ce pays qui est l’un des plus importants producteurs de bœuf au monde, l’élevage est intensif et concentré. La production est divisée en secteurs spécialisés; l’abattage et la distribution sont assurés par quatre grandes multinationales. Ces conglomérats alimentaires emploient majoritairement des travailleurs de la classe ouvrière et beaucoup de migrants d’origine latino-américaine. Dans les enclos d’engraissements (Feedlots), les bêtes sont nourries de céréales auxquelles on ajoute des protéines de soja, des vitamines et des antimicrobiens. On leur injecte parfois des hormones de croissance pour accélérer le rendement et produire ainsi de la viande à faible coût.
Ces grands élevages bovins consomment beaucoup d’eau et ils ont une répercussion non négligeable sur l’environnement, en polluant les sols et les nappes phréatiques par le ruissellement du fumier. La forte densité de ces productions favorise la propagation des maladies parmi le bétail, ce qui entraîne une utilisation accrue de médicaments et contribue au développement de bactéries résistantes aux antibiotiques. La concentration de cette activité économique peut aussi nuire aux structures communautaires en occasionnant le déclin des entreprises familiales et artisanales. Ces établissements agricoles sont néanmoins profondément enracinés dans la culture locale et je ne vise pas à livrer un plaidoyer contre l’industrie de la viande. Des chercheurs de la région, dont l’ethnologue Temple Grandin, ont beaucoup contribué à l’amélioration des conditions d’élevage ainsi qu’au bien-être animal. Mon projet artistique trouve plutôt son origine dans l’étonnement ressenti devant la démesure de ces exploitations.
À l’horizon, du bétail à perte de vue et des nuages de poussière. L’air est irrespirable ici, chargé de particules et d’ammoniac. Je tousse et photographie une bête qui suffoque autant que moi. Au sol, plusieurs bovins morts. On en ramasse chaque jour et on les emporte pour éviter la contamination du cheptel. J’imagine que ces pertes ne sont pas considérées comme étant anormales, sauf si elles compromettent la rentabilité de l’entreprise. Je songe à cette rationalité comptable, à cette mort si banale, en méditant devant ces carcasses comme si j’étais sur un champ de bataille. Une vie vient de s’éteindre, l’œil est encore clair. Au loin, le bruit incessant des bétaillères, la machine infernale d’une industrie qui ne dort jamais.