I am in Paris’s Xth arrondissement when the events of Friday the 13th of November 2015 occur. The population is petrified, paralysed. These are not the first attacks it undergoes, but this time, it is the nation that feels under assault. I observe the reactions, I listen in on the conversations, I take pictures of what I see, often furtively.
The night is warm for November, yet Paris is empty. The pleasant breeze that swathes the city stands in strange contrast to the mood of bewilderment prevailing in it. Café terraces are empty, nobody dares to go out, there are many police roadblocks: it’s the state of emergency. It is hard to think of anything else, to speak of anything else.
On the Boulevard Voltaire, people gather near the Bataclan. The Place de la République becomes a kind of agora where citizens talk and move around with placards. People are in shock, saddened, they put forward hypotheses, hazard explanations. What has happened appears to be recreating social ties that are cruelly lacking in our societies. These solidarity gatherings are also quickly invaded by the media, tourists and merchants.
The Monument à la République turns into a makeshift memorial. I take pictures of it every day. It is never quite the same: it is done and undone as fresh flowers and new testimonials are added. Photographs, drawings and small posters are put there daily. The rain alters them, deforming the pictures and blurring them, erasing the words, spreading the ink around or making it run down to the ground. In the process, it gives them a new appearance, often more poignant than the original, a kind of battered look.
On my way, in the subway, I come across a homeless young man and young woman; they tell me how policemen are taking advantage of the situation to harass them, without apparent reason. They are incredibly nice, I talk with them for quite a while, they tell me about their tough childhoods in Paris suburbs. I also go to Vincennes, at the army recruitment centre, which is receiving a massive influx of applications since the events. The territory is now under high surveillance, security is being reinforced, bags are searched, leather jackets have to be opened, identity cards are being checked, dissidence is repressed, strikes on Syria are intensified… France is afraid, afraid of the other who is hounding her, but just who is this other exactly? I am trying to understand where all this is coming from. Are we really afraid of realizing it is also coming from us?
History is repeating itself… I am thinking of Quatrevingt-treize, a dark novel by Victor Hugo set under the Terror, a period characterized by the authoritarianism of the government during the French Revolution. On September 17, 1793, the Law of Suspects was voted, marking a clear weakening of respect for individual freedoms. Today, these needful severities are again being imposed… Anyone can be suspected and searched, and a frightened population accepts these measures more easily. How are we to react to terror then? Societies are frozen in fear, which fosters division and carries away reasoning; once a legitimate moment of dread has passed, we have to think together in order to go forward beyond it. Who is benefitting from the cycle of violence? What are the inner workings of today’s wars and what are their real stakes? “Beaujolais, sausage and Spinoza for everyone”, as one testimonial suggests. “Neither to laughing, nor to cry, but to understand”, as Spinoza wrote.
FRANÇAIS
Je suis à Paris dans le Xe arrondissement lorsque que les événements du vendredi 13 novembre 2015 éclatent. La population est pétrifiée, paralysée. Ce ne sont pas les premiers attentats qu’elle subit, mais cette fois, c’est la nation qui se sent attaquée. Je m’intéresse aux répercussions de ces attentats. J’observe les interactions, j’écoute les conversations, je photographie ce que je vois, souvent à la dérobée.
La nuit est douce pour novembre, mais Paris est vide. La brise agréable qui enveloppe la ville contraste étrangement avec le climat de stupeur qui y règne. Les terrasses des cafés sont désertes, personne n’ose sortir, les barrages policiers sont nombreux : c’est l’état d’urgence. Il est difficile de penser à autre chose, de parler d’autre chose.
Boulevard Voltaire, les gens se rassemblent près du Bataclan. La place de la République devient une sorte d’agora où les citoyens discutent et circulent avec des affiches. On est sous le choc, attristé, en colère, on émet des hypothèses, on tente d’expliquer. Les événements semblent recréer un lien social qui fait si cruellement défaut à nos sociétés. Ces rassemblements solidaires sont aussi rapidement envahis par les médias, les touristes et les commerçants.
Le Monument à la République se transforme en un mémorial improvisé. Je le photographie à chaque jour. Il n’est jamais exactement le même : il se fait et se défait au fil des ajouts de fleurs et de témoignages nouveaux. Photographies, dessins et affichettes y sont déposés quotidiennement. La pluie les altère, déforme les images, les rend floues, efface des mots, diffuse l’encre ou la répand au sol. Elle leur confère ainsi une nouvelle apparence, souvent plus poignante que l’originale et qui semble meurtrie.
Au passage, dans le métro, je croise un jeune homme et une femme sans domicile fixe; ils me racontent comment les policiers en profitent maintenant pour s’acharner sur eux, sans raison apparente. Ils sont d’une gentillesse incroyable, je discute avec eux un bon moment, ils me parlent de leurs enfances difficiles dans les banlieues parisiennes. Je me rends aussi à Vincennes, au Centre de recrutement des armées, qui reçoit un afflux massif de candidatures massif depuis les événements. Le territoire est maintenant sous haute surveillance, on renforce la sécurité, on fouille les sacs, fait ouvrir les blousons, contrôle les cartes d’identités, réprime la dissidence, intensifie les frappes sur la Syrie… La France a peur, peur de l’autre qui la traque, mais qui est cet autre au juste? J’essaie de comprendre d’où cela provient. Avons-nous peur de réaliser que cela émane aussi de nous?
L’histoire se répète. Je songe à Quatrevingt-treize, œuvre sombre de Victor Hugo ayant pour cadre la Terreur, une période caractérisée par l’autoritarisme du gouvernement pendant la Révolution française. Le 17 septembre 1793 on vote la loi des Suspects, qui marque un net affaiblissement du respect des libertés individuelles. Aujourd’hui, on impose à nouveau ces sévérités nécessaires… N’importe qui peut être suspecté, fouillé et une population qui a peur accepte ces mesures plus facilement. Comment réagir à la terreur alors? À qui profite le cycle de la violence ? Quels sont les rouages des guerres contemporaines et quels sont leurs enjeux réels? La peur fige les sociétés, divise et emporte le raisonnement ; l’effroi légitime passé, il faut réfléchir collectivement pour dépasser ce sentiment. Beaujolais, saucisson et Spinoza pour tout le monde, nous propose un témoignage. Ni rire, ni pleurer, mais comprendre, écrivait Spinoza.