Wild Times

2021

Au cours de l’été 2021, la Colombie-Britannique est affectée par un épisode de chaleur et de sécheresse extrêmes qui provoque de nombreux incendies de forêts. La ville de Lytton est détruite et plusieurs autres localités sont en état d’alerte. Je me rends dans la vallée de la rivière Thompson pour photographier les brasiers qui prennent rapidement de l’ampleur. La végétation est complètement desséchée et la moindre brindille se pulvérise sous mes pas. À des lieues à la ronde, on aperçoit les panaches de fumée  qui émanent des feux. Voilé par ces particules fines, le ciel est assombri et le jour ne se distingue plus de la nuit; le soleil qui se lève derrière ces émanations toxiques ressemble à une lune de sang. Ce paysage infernal est aussi captivant qu’inquiétant – « comment de tels feux peuvent-ils nous paraître si beaux à regarder? », m’écrira plus tard une amie. Je m’arrête sur le bord de la route transcanadienne pour photographier une affiche touristique du BC Wildlife Park : « Wild Times Await You! ». La fumée est devenue si dense qu’on discerne à peine les environs et l’air ambiant est irrespirable. La petite agglomération de Walhachin, située à proximité, sera évacuée le lendemain.

Les feux de forêts ne sont pas rares dans l’Ouest, mais la situation se dégrade depuis quelques années et plusieurs collectivités de la Californie, de l’Oregon et du Canada ont déjà été durement touchées. Nous savons que les vagues de chaleur et la sécheresse créent des conditions propices aux incendies, mais les variations du climat sont-elles les seules responsables de ces sinistres ? Les compagnies forestières reboisent surtout avec des conifères – qui brûlent facilement – et ce type de plantation trop uniforme attise les brasiers. Certains chercheurs1 pensent qu’il faudrait revoir nos modèles de gestion des feux de forêt. Selon eux, éteindre systématiquement les feux empêche les brûlis naturels et occasionne une accumulation de combustible; il serait plus judicieux d’éliminer de petites superficies par brûlage dirigé. Cette technique repose sur une coutume ancestrale des Autochtones2, qui adaptaient la structure de leurs terres pour les préserver des incendies dévastateurs. Les Premiers Peuples – de l’Amérique et de l’Australie3 – avaient compris que le feu faisait partie du cycle de régénération de la forêt et ils pratiquaient le « brûlis culturels ». Œuvrant à l’opposé, nous avons rompu un équilibre établi depuis des siècles en luttant contre les éléments naturels et en surexploitant la forêt. Viser à maîtriser la nature sans la comprendre ni la respecter mènera inéluctablement à l’échec. Il faut donc repenser notre rapport au territoire et apprendre à cohabiter avec lui afin de ne pas céder à la quête illusoire d’un monde toujours plus contrôlé et sécuritaire.

Ce projet qui comporte une vingtaine d’images grand format s’inscrit en continuité avec la série photographique Terres de cendres, réalisée dans une plantation calcinée du Lac-Saint-Jean (Québec) au cours de l’été 2020.