Être là, là bas
hors de soi

2006 – 2007

‘To fabricate a house – to make an illusion’: that is what John Hejduk wrote in large letters in 1973 underneath one of the drawings for Wall House #2, also known as the Bye House. He signed the design ‘Hejduk Fabricator’. (1)

You should bring the devils into your own house as a way to challenge both society and one deep held assumptions. (2)

La maison est un artefact à notre image. Les projets que John Hejduk lui consacre – des architectures, mais aussi de nombreux dessins et poèmes – transcendent cette dimension pour évoquer jusqu’à la tragédie même de la vie. Cette vision est remarquablement bien incarnée par les Wall Houses dont la conception est porteuse d’un questionnement ontologique. Ses projets développent l’idée d’une architecture subjective dans laquelle le fonctionnel rencontrerait le symbolique. Par la théâtralisation des événements architecturaux, les trois habitations de cette série semblent investies d’une dimension narrative et dotées d’affects anthropomorphiques vitaux. La demeure y devient un lieu de réflexion et de méditation sur l’existence, ce qui lui confère une dimension de sanctuaire. Dans cette période de l’œuvre de John Hejduk, les objets architecturaux semblent spatialement retournés vers l’extérieur. Retenus autrefois par une structure englobante et fermée, ils semblent maintenant s’offrir librement pour former un relief extérieur, comme des organes vitaux émergeant de leur matrice. La demeure semble se tenir hors d’elle-même, acquérant ainsi une sorte de transparence. Le rabattement et l’ouverture de la structure métamorphosent le mur en surface de contact, restituant ainsi l’ancienne limite interne vers un potentiel de relations avec l’environnement extérieur. Le mur est un symbole qui habite fortement l’imaginaire occidental et ses représentations sont souvent associées à des affects négatifs. Les murs sont habituellement des éléments qui ferment, coupent l’accès, marquent la possession, cachent et rendent opaque. Symboliquement et métaphoriquement, on peut voir dans Wall House #2 un renversement de ces affects négatifs au profit d’une rencontre avec l’autre.

À partir de ces quelques réflexions, j’ai créé une série d’images qui cherche à développer des résonances avec la pensée de John Hejduk, plus particulièrement avec sa conception de l’architecture comme partie intégrante du « contrat social ». Certaines images explorent des aspects poétiques de sa pensée, d’autres développent des points de vues plus politiques.

Wall House #2 devait initialement être construite à Ridgefield, Connecticut, et entourée d’arbres, mais fut plutôt aménagée à Groningen, près d’un lac. Elle fut également réalisée en plus grande dimension que ce que les plans d’origine proposaient. Par le truchement des techniques de transformations de l’image, j’ai imaginé d’autres relocalisations et transformations. J’ai resitué la maison dans de nouveaux contextes et métamorphosé son apparence. Dans plusieurs des mises en scène ainsi créées, l’architecture de John Hejduk joue le rôle d’élément perturbateur. La maison fut relogée dans des contextes improbables, où son établissement serait d’ailleurs sans doute refusé. Quelques images la présentent dans des Gated Communities nord-américaines, côtoyant des habitations communément appelées Monster Houses, ou encore, McMansions (3). Sa présence au sein de ces communautés fortunées (lieux généralement décriés par les architectes et les urbanistes) crée des confrontations esthétiques, culturelles et sociales. Dans d’autres images, sa mise en relation avec des éléments architecturaux incarnant la coupure et la ségrégation, particulièrement des murs urbains couverts de graffitis, se transforme en un appel à l’ouverture et à la communication. Une dernière image présente le Wall House à l’état de monument abandonné, au milieu d’un terrain en friche. Elle fut inspirée par ma visite aux Villas La Roche et Jeanneret (Le Corbusier, Paris) et par le sentiment d’étrangeté que suscite le spectacle du vieillissement de la modernité. Cette ruine à la décrépitude fabriquée semble évoquer une nostalgie à venir — peut-être celle qui accompagne la fin de toute utopie esthétique.

1) Van der Bergh, Wim – “A fabricated illusion”, Archis magazine for Architecture, The Archis Foundation, The Netherlands, 2001.

2) Hays, K. Michael – Sanctuaries: The Last Works of John Hejduk, Whitney Museum of American Art, New-York, Unpaginated, 2002.

3) “McMansion” est un argot architectural apparu aux États-Unis pendant les années 1980. C’est une description péjorative d’un modèle particulier de résidences luxueuses.

12 images de grands formats. Ces œuvres ont été réalisées dans le cadre d’une résidence d’artiste au Wall House #2 – un projet de Noorderlicht Photography et de Wall House #2 Foundation (Groningen, Hollande)