Dé-peindre Québec

(ou l’envers du décor)

​2007 – 2008

« Cette façade est la chose qui a le plus impressionné mes amis européens de passage à Québec. Ils ont adoré. » Commentaire trouvé sur le site Internet de Québec Urbain, un blog consacré à l’urbanisme de la Ville de Québec.

À proximité de l’arrondissement historique du Vieux-Québec, on peut observer les vestiges de l’ancienne église Saint-Vincent-de-Paul, une construction de style néo-classique abandonnée pendant vingt ans, puis démolie sans permis par un promoteur immobilier. Siégeant aux portes de l’ancienne ville fortifiée, entourée d’un vaste délaissé urbain, cette façade délabrée ne laisse personne indifférent. La vue de ses décombres fait naître un sentiment ambigu, car il s’en dégage autant de grandeur que de désolation. Leur décrépitude n’est pas sans rappeler celle de la ruine historique façonnée par le temps. Ce monument insolite intrigue… Il commémore sans doute les vides administratifs des politiques d’urbanisme de la ville.

Ce qui détermine la conservation d’un lieu relève nécessairement des conceptions du moment qui sembleront peut-être arbitraires aux générations futures. On cherche souvent à mettre en lumière une tranche de l’Histoire au détriment des faits locaux plus populaires ou plus récents. L’église Saint-Vincent-de-Paul en porte les éloquents stigmates.

Non loin de loin de là se trouve le centre historique de la ville, un site inscrit sur la Liste du Patrimoine Mondial de l’Unesco. Une part importante de ce secteur est laissée aux touristes et aux commençants. Tout y est bien en ordre, les enseignes neuves adoptent un style « à l’ancienne », les boutiques vendent d’innombrables produits du terroirs et souvenirs. Les legs culturels y sont apprêtés pour la mise en spectacle de la ville, restaurés pour correspondre à une image un peu caricaturale de l’authenticité.

J’ai choisi un certain nombre de paysages urbains emblématiques du Vieux-Québec et les ai amalgamés aux restes de l’église. Ces lieux de mémoire, architectures historiques et attraits pittoresques ont ainsi été associés à une forme plus dissonante de couleur locale. Leur mise en relation nous montre les effets paradoxaux d’une industrie du voyage qui contribue à la sauvegarde des sites fréquentés tout en les dépréciant. Le tourisme de masse accapare les biens culturels d’une façon abusive, occasionnant parfois leurs détériorations.

Les collectivités locales trouveront alors difficile d’apprécier leur propre héritage. La basse saison leur apportera une paix relative qui libérera les rues et les terrasses des cafés, mais ne leur rendra pas le caractère véritable de ces lieux. Confisqué par le regard du tourisme, ce patrimoine se présentera invariablement sous une forme travestie et maquillée. Si cette carcasse ajourée fascine autant qu’elle ne choque, c’est peut-être par contraste avec cette forme de mascarade. Elle semble incarner une forme de blessure architecturale qui touche par sa véracité et met en évidence l’artifice des quartiers historiques.

Quatre images grands formats. Ces œuvres ont été réalisées dans le cadre du projet « 06 Émissaires, Québec 2008 » initié par le Centre VU (Québec)